ARCHIVES DE LA MJC / MPT

EXPOSITIONS

Du 5 janvier  au 31 janvier 2012 - MJC François Rabelais - Vernissage 28 janvier 2012
et du 17 janvier a 28 février 2012 - Office de tourisme de Savigny-sur-Orge. Cliquez ici pour voir l'exposition

CARMELO ARDEN QUIN
HOMMAGE

Carmelo Arden Quin Rivera (Uruguay) 1913, décédé le 28 septembre 2010 à Savigny-sur-Orge

Passe son adolescence au Brésil, suit des cours d'histoire et de peinture avec l'écrivain et peintre Emilio Sans, commence aussi des études de droit. En 1935-36 à Montevideo, assiste aux conférences de Torres-Garcia, déterminantes pour son évolution ultérieure. En 1936 expose ses premières formes polygonales à la Casa de Espana, milite aussi contre le fascisme espagnol. S'installe à Buenos Aires en 1938, fréquente peintres, écrivains, poètes, très actif également politiquement, par le biais du journal El Universario notamment, s'engage à fond dans la lutte contre la nazisme. En 1944 crée avec Kosice, Maldonado, Bayley la revue Arturo et organise différentes expositions du groupe. En 1946 lance le mouvement Madi avec la lecture d'un manifeste - qui avait été précédé de plusieurs pré-manifestes - au Collège français d'Études supérieures et présente une exposition à l'École Altamira dirigée par Fontana. Part pour Paris en 1948, fait connaissance avec le milieu de l'art abstrait, expose avec le groupe Madi au Salon des Réalités Nouvelles (de 1948 à 1956), à la galerie Colette Allendy, à la galerie Denise René (exp. Diagonal en 1953). En 1953-54 donne des conférences au MAM de Sâo Paulo et fonde l'Association Arte Nuevo à Buenos Aires. En 1958 participe à l'exposition Collages au musée de Saint-Étienne. En 1961 publie Opplimos chez José Corti et en 1966 fonde la revue Ailleurs, qui existera jusqu'en 1966. Nombreuses expositions personnelles à partir des années 70, rétrospective à la galerie de la Salle, Saint-Paul-de-Vence, en 1978 et à la Galerie des Ponchettes, Nice en 1985.

Texte tiré de 1'ouvrage Art d'Amérique Latine 1911-1968 Centre Georges Pompidou

Carmelo Arden-Quin (Capture d'écran d'une vidéo de l'Encyclopédie audiovisuelle de l'art contemporain

LE MOUVEMENT MADI

L'Argentine et le Brésil ont constitué entre 1945 et 1960 deux foyers de création pour l'abstraction géométrique qui ont joui d'une grande vitalité et témoigné d'un extraordinaire foisonnement d'idées. A Buenos Aires, puis à Rio de Janeiro et Sâo Paulo, de nombreux artistes, peintres, sculpteurs, ainsi que des poètes inspirés par des sources européennes communes, sont apparus partager les mêmes idées pour l'abstraction, se sont regroupés pour chercher de nouvelles formes d'expression et les diffuser par l'intermédiaire de manifestes, de revues et d'expositions, ont influencé largement la vie intellectuelle de leur pays et, pour une bonne part d'entre eux, ont fini par s'expatrier en Europe pour continuer leur oeuvre.
Dans cette histoire, une origine : la présence à Montevideo, les activités et le rayonnement de Joaquin Torres-Garcia, rentré dans son pays en 1934 après avoir passé plus de quarante années à l'étranger. C'est par lui que l'aventure de l'art européen du xxe siècle va être connue, en particulier le mouvement abstrait de Mondrian, Van Doesburg, Vantongerbo, Domela, Vordemberge-Gildewart, Moholy-Nagy et le Bauhaus.
Les jeunes artistes de Montevideo et de Buenos Aires vont suivre leurs traces, soit avec Carmelo Arden Quin, Rhod Rothfuss et Gyula Kosice pour chefs de file, soit avec Tomâs Maldonado, s'exprimant dans des publications telles qu'Arturo, qui est créée en 1944, et bientôt regroupés dans des associations nommées Arte Concreto-Invencion, fondée en 1946, puis Arte Madi la même année, chacune disposant de sa propre revue.

Ces artistes montrent des oeuvres dont les caractéristiques essentielles sont d'être abstraites, de présenter une forme découpée (l'idée est de sortir du cadre rectangulaire), de comporter des parties mobiles ou de chercher à exprimer le mouvement.
Bien vite, ces artistes ne se contentent plus de Buenos Aires et montrent leurs oeuvres à Paris en 1948 au Salon des Réalités nouvelles, tandis qu'à la fin de la même année Carmelo Arden Quin vient s'installer en France, où il va s'efforcer de reconstituer un groupe Madi.
Torres-Garcia

De la génération sud-américaine active pendant la première moitié du XXe siècle, Joaquin Torres-Garcia est certainement l'artiste le plus connu et celui dont la renommée est la plus répandue.

Torres-Garcia naît à Montevideo en 1874. En 1891, sa famille part pour la Catalogne où son père, menuisier et d'origine catalane, espère trouver du travail. C'est à Barcelone, à partir de 1893, que Torres-Garcia fait ses premières études artistiques et découvre la peinture européenne. Son style à lui sera néoclassique, suivant la tendance dominante à Barcelone : sa technique sera celle de la peinture à fresque.
La période parisienne de Torres-Garcia s'étend de 1926 à 1934.

Ses premières oeuvres "constructivistes" datent de 1929 et, à partir de cette date, on peut dire qu'il trouve sa voie et la manière de l'exprimer : un "constructivisme" fondé sur des valeurs à la fois classiques (le nombre d'or) et archaïques.
En 1934, il retourne à Montevideo , il crée une association d'art constructiviste et publie une revue Circulo & Cuadrado ; inlassablement il enseigne et donne des conférences. En 1944, il fonde une école, et en 1945 une nouvelle revue, Removador, qui lui survivra.

Toutes ces activités porteront leurs fruits, créant une "école du Sud" dont l'influence se fait sentir encore aujourd'hui. Car Torres-Garcia a été le seul à tenter une synthèse entre un ordre classique et des éléments indigènes de son propre continent. Il a proposé une voie pour les artistes d'Amérique du Sud et, même en Amérique du Nord, son oeuvre a eu un retentissement, perçu comme porteur d'éléments inédits et proposant une alternative à l'art européen.
Le mouvement Madi

Pour Carmelo Arden Quin, peintre et poète né en 1913 à Rivera, petite ville à la frontière entre le Brésil et l'Uruguay, la rencontre en 1935 avec Torres-Garcia est décisive : Torres-Garcia sera "sa source". Arden Quin suit ses conférences avec projections de documents couleur sur le futurisme, le constructivisme et le néoplasticisme. En 1936, Arden Quin s'installe à Buenos Aires. En 1940, Arden Quin rencontre Guyla Kosice, Edgar Bayley, et en 1941, Carlos Maria Rothfuss. Avec eux, Arden Quin veut lancer une revue des arts abstraits pour appuyer l'idée du tableau découpé. Le numéro I d'Arturo, tiré à 250 exemplaires, paraît pendant l'été 1944. Arden Quin a appelé la première revue d'art abstrait d'Amérique latine du nom d'Arcturus, étoile de première grandeur de la constellation du Bouvier. Il a ensuite fait le rapprochement avec les prénoms de Rimbaud et de son grand ami Arturo Ruiz, secrétaire d'Eugenio Gomes, le secrétaire général du Parti communiste uruguayen. Sont ainsi intimement associés son amour de la science-fiction, des poètes de la révolte et son attachement au marxisme.

Arden Quin, Kosice et Rothfuss posent les fondements théoriques de l'esthétique qui sera successivement appelée Invenciôn puis Madi. Pour Bayley, "En donnant des images pures sans se préoccuper d'un accord avec les réalités extérieures, le dadaisme, le surréalisme, le créationnisme posent les bases de la conception de la nouvelle image. Tout souci représentatif, toute volonté de transformer l'œuvre d'art en l'interprète de n'importe quelle réalité intérieure, de quelque attitude subtile, complexe et neuve, toute symbologie pour diffuse qu'elle soit falsifie l'image et la prive de toute valeur esthétique. La nouveauté ne peut résider aujourd'hui que dans l'image-invention. Tout réalisme est faux, tout symbolisme est faux(1).
Kosice revient sur la même idée "Arturo dit l'affirmation de l'image pure sans aucun déterminisme ni aucune justification(2) ." Les textes d'Arden Quin et de Rothfuss précisent les fondements idéologique et stylistiques.
"Personne n'a utilisé la pensée du matérialisme dialectique pour voir que l'école de Paris est le résultat émotif et idéologique d'une transformation totale du monde. Personne n'a pensé à subordonner le phénomène de l'art moderne et de ses abstractions au processus de liquidation économique et sociale de l'ordre capitaliste et à la création d'une nouvelle société reposant sur les formes socialistes de production. Nous sommes en train de vivre en économie comme en art et dans les autres idéologies une période de thèse ; période de recommencement, période primitive mais avec des normes et structures scientifiques contrairement au primitivisme matériel, instinctif, de la formation de l'histoire. L'art, dialectiquement, avec une précision étonnante dans la correspondance historique, entre dans un recommencement total, et ses créateurs, depuis le début et avec une grande intuition, ont vu dans l'art des peuples primitifs la correspondance la plus exacte.
La société humaine depuis son communisme primitif est passée par trois ordres économie (esclavagisme, féodalisme, bourgeoisie) pour revenir à sa source historique oubliée. Mais ce retour n'est rien d'autre qu'une correspondance puisque la marche ascensionnelle de l'histoire (Lénine a souligné la proposition engélienne de la "marche en spirale") empêche que ce retour soit une copie exacte, ce qui serait une régression." Et d'appliquer cette théorie de l'histoire à l'art : "Ni expression (primitivisme); ni représentation (réalisme) ; ni symbolisme (décadence). INVENTION. De n'importe quelle chose ; de n'importe quelle action ; forme ; mythe ; par pur jeu ; par pur sens de création ; éternité ; FONCTION(3)."
Rothfuss, enfin, développe la nouvelle proposition plastique : "Le cubisme et le nonobjectivisme, par leurs compositions fondées soit sur des rythmes de lignes obliques, soit sur des figures triangulaires ou polygonales, se sont créés le problème d'un cadre qui coupait le développement plastique du motif. Le tableau se trouvait inévitablement réduit à un fragment [...] Une peinture avec un cadre régulier fait sentir la continuité du motif, qui disparaît seulement lorsque le cadre est rigoureusement structuré en accord avec la composition de la peinture [...] Une peinture doit être quelque chose qui commence et finit en elle-même. Sans solution de continuité(4)."
Pour se démarquer du créationnisme de Huidobro, Bayley propose que leur mouvement s'appelle inventionnisme. Arden Quin, Bayley, Kosice, Maldonado, Espinosa, Lidy Prati décident de lancer la revue Invencion. Chaque numéro sera entièrement consacré à un membre du groupe. En 1945, paraissent un Kosice et un Bayley.
Invenciôn s'affirme, comme une esthétique universelle qui ne laisse de côté aucun domaine de la création. Forme articulée et cadre irrégulier sont la sculpture et la peinture d'INVENTION.
Arden Quin, Kosice et Rothfuss organisent la première exposition Madi, les 3, 4, 5 et 6 août 1946 dans l'arrière-salle de l'Institut français d'études supérieures avec Martin Blaszko, Valdo Wellington, Diyi Laan, une jeune femme que Kosice vient de rencontrer, la jeune photographe et dessinatrice, Elisabeth Steiner, Esteban Eitler et la danseuse Paulina Ossona.
Arden Quin lit son "Introduction au manifeste". Pour lui le manifeste Madi n'est pas encore écrit. Les textes lus à l'occasion des principales expositions n'en sont que la préfiguration. Ce qu'il appelle "pré-manifestes". Ces artistes proclament: "Nous autres madistes, prenant les éléments propres de chaque art, nous construisons ; c'est-à-dire, nous faisons une invention réelle. Avec cela nous n'exprimons rien, nous ne représentons rien, nous ne symbolisons rien. Nous créons la chose dans sa seule présence, sa seule immanence. La chose est dans l'espace et dans le temps : ELLE EXISTE. C'est un acte transcendant, un acte merveilleux. Notre art est humain, profondément humain, puisque c'est la personne dans toute son essence celle qui CONSCIEMMENT crée, fait, construit, invente réellement." "Madi apparaît pour fonder un mouvement universel d'art qui soit la correspondance esthétique de notre civilisation industrielle et de notre pensée dialectique contemporaine."
"SUBVERTIR Les valeurs jusqu'à présent pleines d'expression, de représentation et de magie en créant de nouvelles valeurs d'unité dans la musique, l'architecture, les arts plastiques, la poésie, le roman, la danse. PRODUIRE une grande commotion "madique" de la réalité. TENIR EN ALERTE les sens et les disposer pour l'ordonnement harmonieux d'une nouvelle structure esthétique, sans aucun compromis avec les allégories préhistoriques. CRÉER un art d'esprit mathématicien, froid, dynamique, cérébral, dialectique(5)."
En 1947, le groupe éclate. Esteban Eitler, Martin et Ignacio Blaszko suivent Arden Quin ; Rothfuss reste avec Kosice.
Avant son départ pour la France, Arden Quin organise le 4 avril 1948 "Un acte essentiel ! matinée madiste" chez le docteur Elias Piterbarg avec Esbeban Eitler, Martin et Ignacio Blaszko, et pour la première fois le peintre nord-américain Ed Levin et l'Argentin S. Rojas. Il imprime en français au dos de l'invitation le cinquième pré-manifeste Madi

L'homme a été fait pour surpasser l'homme, pour construite la conscience pure et immortelle dans une seule sphère cristalline [...] Avant Madi, rien. Après Madi, rien non plus. Le cubisme, l'art concret, le dadaïsme, le surréalisme, l'existentialisme, le lettrisme ne sont que les produits de la décadence d'une époque [...] Les deux premiers mouvements n'ont pas pu organiser des formes multiples ; les deux autres n'ont pas pu refaire la littérature ; les trois derniers n'ont pas pu exalter la raison l'homme...."

En octobre 1948, Arden Quin arrive à Paris. Très vite, il reconstitue un groupe. En mai 1950, la galerie Colette Allendy présente l'exposition "Madi" avec les Péruviens Bresciani, Eielson, avec Arden Quin, Vardanega et le Français Desserprit. En plus de tableaux découpés et de mobiles, Arden Quin expose ses premiers poèmes plastiques Onounoun, Ionneli et Soleil où des lettres, mots et phrases fonctionnant autant comme des formes visuelles que poétiques s'intègrent dans des compositions qui font une large part aux découpages : lecture et vision sont plurielles et ludiques. L'exposition a un grand retentissement ; tout le milieu de l'art abstrait, de Picabia à Gleizes, s'est déplacé.

 

Au Salon des Réalités nouvelles en 1953, les "Madistes de Paris" qui disposent d'une salle exposent des formes découpées (Arden Quin, Pierre Alexandre, Eric Leenhardt, Luis Guevara, Guy Lerein, Wolf Roitman), des sculptures mues par des moteurs électriques (Arden Quin et Ruben Nunez), des mobiles (Leenhardt) et des tableaux "optiques-vibrations" (Guevara et Nunez). Luis Guevara obtient des effets optiques par l'ordonnance de lignes diagonales brisées. En se déplaçant le spectateur voit se transformer ses coplanals faits de lamelles striées et articulées. Victor Vasarely reprendra ce principe à une échelle monumentale dans le mural qu'il réalisera pour la Cité universitaire de Caracas en 1955.
En 1950, Arden Quin proclamait "Madi fait l'art mobile. L'art recommence." Il a été entendu.
 
1- Edgar Bayley, Arturo n°1, été 1944
2- Guyla Kosice, Arturo n° 1, été 1944
3- Arden Quin, Arturo n°1, été 1944
4- Rhod Rothfuss, "El marco : un problema de plastica actual", Arturo n°1, été 1944
5- Traduits en français dans le programme de la première exposition Madi, Buenos Aires, Institut français d'études supérieures, les 3,4,5, et 6 août 1946
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