L'histoire des Trois Clous
Installée à savigny sur Orge depuis
1964, mais déclarée sous forme associative en 1967 seulement, la troupe des Trois Clous
a fêté en 1997 ses trente-trois ans.
Le théâtre populaire issu de
l'après-guerre et symbolisé par Vilar, le TNP et le Festival d'Avignon, par Rétoré et
le TEP, est à l'origine du fondement de la troupe. Dès sa création en 1964, les
fondateurs lui donnent comme but : "la promotion culturelle, intellectuelle et
humaine", ils revendiquent "la liberté dans les recherches artistiques",
ils se recrutent "dans le monde des étudiants et celui des travailleurs". Le
groupe initial demande et reçoit le soutien du TEP : "la culture est le bien de tous
et ne peut servir quelques-uns".
Les années 70 s'interrogent sur les
formes que doit prendre le théâtre. On ne veut/peut plus monter de pièces du théâtre
traditionnel. Il faut de nouveaux auteurs, on cherche de nouveaux modes d'expression, on
"s'exerce" sur les nombreuses pièces en un acte qui paraissent alors (Obaldia,
Tardieu, Prévert, Foissy, Dubillard...). Mrozek s'exile en France et nous le découvrons
en 1974. En 1976 nous le faisons découvrir aux compagnies présentes lors des Rencontres
de Sèvres, ce lieu symbolique d'échanges du théâtre amateur.
Ce sera le premier tournant qui nous
mènera vers les stages proposés par le TEP. C'est en effet l'époque où apparait la
notion de "formation du spectateur", à commencer par la "minorité
agissante", celle des comédiens amateurs, des animateurs de comités d'entreprise et
des professeurs qui animent des clubs de théâtre. On leur propose des stages avec les
comédiens des spectacles joués au TEP, et des rencontres pour qu'à leur tour, ils
transmettent ce savoir acquis.
Les année 80 verront des spectacles
engagés dans la critique de la société et, des mouvements violents agiteront la troupe,
échos des questions qui traversent l'époque :
- question du pouvoir et, en particulier,
pouvoir du metteur en scène. Doit-il y avoir un metteur en scène et, si oui, a-t-il LE
pouvoir ? Cette question traverse aussi le théâtre professionnel et, alors qu'on
conteste son existence, le statut du metteur en scène va se structurer dans ces années
jusqu'à devenir quasi dictatorial, rendant secondaire celui de l'auteur.
- question du féminisme. Au moment où
nous montons une pièce sur Flora Tristan, se pose la question de l'égalité des sexes.
Etre égaux, est-ce être pareils ? Est-ce faire les mêmes choses ? Les filles porteront
donc les malles et les garçons coudront les rideaux. C'est l'époque où les spectacles
sont suivis de débats : ils seront souvent houleux voire explosifs, tant parmi les
spectateurs que parmi les acteurs.
- question de la libération sexuelle.
Les années 80 nous voient partir en tournée, l'été, dans les régions dont les
comédiens sont originaires. Ce sont des moments de grand plaisir, où nous nous
retrouvons dans la tradition des comédiens itinérants : nous jouons dans les villages
qui n'ont jamais vu de théâtre et où les habitants viennent nous aider à installer le
spectacle, nous faisons la parade en chantant, accompagnés à l'orgue de Barbarie. Mais,
le temps des tournées, nous vivons en communauté, la vie des personnages se confond
parfois avec celle des comédiens, relations plurielles et conflits naissent. Les retours
à la vie dite réelle sont difficiles. Années passionnées et passionnelles, la troupe
est un lieu de recherche, d'expérience et de psychodrame. Ces questionnements violents
déboucheront sur des changements profonds.
Les années 90 voient la troupe se
professionnaliser. Les relations s'apaisent. Si des questions continuent à se poser,
comme dans tout groupe, elles sont abordées différemment, les conflits violents sont
refusés, la réflexion passe davantage par la parole analytique et politique. Il y a un
désir incontournable de travailler dans le plaisir et de refuser la violence et la
souffrance qu'elle engendre. De nouvelles orientations théâtrales sont prises et nous
poursuivons des recherches sur l'esthétique des spectacles. La troupe n'est plus un lieu
d'expérimentation psychodramatique mais le lieu de création d'un spectacle. Quand la
culture des rues s'institutionnalise, comment interroger notre société, les idéologies
extrêmes-droitières, la barbarie ?
Et aujourd'hui la question de savoir quoi
dire nous entraîne, comme les professionnels, vers la question du texte : faut-il
privilégier les auteurs contemporains ou ne cesser de regarder notre monde, dans le
miroir shakespearien ?
Éliminés par les metteurs en scène, les
auteurs, aujourd'hui, relèvent la tête. Mais nous donnent-ils envie de les jouer quand,
à leur tour, ils veulent contrôler la mise en scène de leurs pièces ? Est-ce le temps
de la dictature des auteurs après celle des metteurs en scènes et des scénographes ?
Sans doute essayons-nous, peut-être, de
retrouver le lien entre les désirs et espoirs portés par le théâtre de Vilar et
l'individualisme désespéré d'aujourd'hui ; nous en sommes encore à montrer les
fragments dans une parole théâtrale éclatée.

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